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Benjamin: un homme de couleurs

Critique

 

Aux premiers rayons de soleil, le bobo parisien à lunettes carrées et veston militaire prend ses quartiers d'été (dans Paris). Le bobo aime la culture. Il l'adore. Il en a d'ailleurs même fait un véritable art de vivre, et rien ne l'arrête. Son t-shirt favori ? Blanc, avec écrit en lettres délavées « Less is more », credo de l'architecte bien-connu Van der Rohe (oui, le bobo est en école d'archi). Après un bon brunch entre amis où il a raconté son dernier trek au Népal, ledit bobo se rue dans l'expo du coin, sur les chevaliers paysans de l'an mil au lac de Paladru. C'est obscur, c'est avant-gardiste, c'est... dommage. Juste à côté, à la galerie Arludik, il y avait une expo sur Benjamin, un nouvel artiste très en vogue, et, en prime, accessible à tous.

 

Teintes saturées et psychédélisme, voilà l'univers où navigue l'artiste Benjamin (Zhang-Bin). Passionné de mangas depuis son plus jeune âge, cet artiste chinois haut en couleurs a su, par sa maîtrise de la tablette graphique, se faire un nom dans le monde de l'art numérique. Évoquant par la violence de ses dessins le malaise de la jeunesse chinoise, il a de nombreuses fois été censuré pour avoir traité de sujets sociétaux tabous tels que la sexualité ou le suicide, tant l'énergie dégagée par son trait est évocatrice. À l'aide d'un logiciel de retouche d'image (Corel Painter), Benjamin a su se créer son propre style, qu'il a baptisé true colors. Mais finalement, elles ne sont pas vraies, elles sont irréelles, ces couleurs. Ce qu'il crée est davantage de l'ordre d'une atmosphère, et le style acidulé n'est qu'une illusion face à la sensibilité qui se dégage de ses Å“uvres. Les planches de Benjamin sont reconnaissables entre mille : flashy, pop et douces à la fois, elles sont empreintes d'une profondeur mélancolique, due sans doute aux regards ténébreux de ses personnages qui évoluent dans un univers flou, où chaque mouvement semble être décomposé. Le temps s'arrête à la contemplation de ces dessins, hypnotisant par leurs mille couleurs. Les expressions sont prises sur le vif, et ces icônes presque vivantes gravitent dans un univers brumeux qui semble leur appartenir.

 

C'est donc par les couleurs que l'artiste exprime et il ne lésine pas sur les moyens : rose, violet, vert clair, jaune, tout y passe. Une véritable symphonie est offerte à qui accepte de laisser au vestiaire sa crédulité l'espace d'un instant, pour se laisser bercer par un univers éclatant. L'atmosphère psychédélique inspirée des mangakas japonais renforce ce qui est au cœur de son art : la sensibilité. Ce sont des œuvres d'art qui pensent, et qui donnent à penser. L'observateur est pris en otage par l'aspect « rose bonbon » et la sensualité érotique des figures féminines, puis entre davantage dans le dessin dans une sorte de transe hypnotique, et découvre alors le reflet d'une société complexée, et contrastée.

 

Un salut aux jeunesses de tous les horizons

 

Les planches de Benjamin témoignent, sous couvert d'une atmosphère enfantine et colorée, du malaise d'une jeunesse chinoise souvent brimée. Entre pression sociale et décadence, les jeunes Chinois ont en effet souvent bien du mal à trouver leur place dans cette société aux mÅ“urs strictes. Benjamin dépeint leur émancipation, leurs doutes, souvent à travers des portraits de jeunes filles longilignes, figures sans doute les plus fragiles de ce pays à dominante patriarcale. La dimension sociétale des Å“uvres ne laisse d'ailleurs personne indifférent.

Malheureusement, Benjamin devient mainstream, ce qui est fort susceptible de déplaire au bobo avide de singularité. Il a notamment collaboré, en 2009, à l'élaboration du clip de la chanteuse Jena Lee, J'aimerais tellement, dont il a dessiné toutes les illustrations. Invité à la Japan Expo ou à Paris Manga, Benjamin s'impose en France comme initiateur d'un nouveau mouvement artistique, le manga numérique.

 

L'art et la manière

 

Lors de sa participation à l'exposition Planète Manga du centre Pompidou en 2013, Benjamin a entamé une session de speed painting, procédé durant lequel l'artiste doit réaliser des dessins ou fresques en un temps record de 4 à 5 minutes. Armé de son matériel digne d'un informaticien chevronné, il a créé avec une rapidité fulgurante des univers variés où gravitent ses personnages sensuels. Ce qui frappe est avant tout la précision de son trait. À partir de mouvements flous, il est rapidement possible de distinguer un visage ou un corps, qui apparaissent presque naturellement à l'oeil peu à peu habitué à cet univers particulier. 

La contemplation de ses œuvres est alors un délicieux moment de découverte, une curieuse bohème communicative qui en fait voir de toutes les couleurs.

 

 

Par Manon Griboux

le 15 avril 2014

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