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Éternellement jeûne

Critique

 

Fortes de leur combat mené depuis plus d'un siècle, les femmes ont su s'imposer dans la société. En 1945, Hélène Lazareff fonde le magazine ELLE, premier hebdomadaire destiné à améliorer la vie des femmes et à favoriser leur émancipation. Incarnant la modernité, la presse féminine avait donc de beaux jours devant elle, et permettait aux lectrices de trouver de nouvelles sources d'inspiration. Malheureusement, depuis quelques années, des modèles d'un nouvel ordre ont envahi les présentoirs: mincir est le nouveau mot d'ordre, et gare à celle qui n'aurait pas sa soupe aux choux dans le placard.

 

 

Soient trois unes de magazines féminins du mois d'avril 2014:

Biba: " Moins de kilos, plus de joie: mincir sans avoir faim!"

Cosmopolitan: "Mincir, c'est trop facile!"

Glamour: "Tremblez capitons! Le top des crèmes killeuses de cellulite".

 

Un éternel refrain dont la mélodie commence étrangement à ressembler à un disque rayé.

La minceur est aujourd'hui le but à atteindre, et il n'est plus possible d'ouvrir un magazine féminin sans tomber sur la litanie des recettes minceur, des crèmes anti-cellulite, et autres formules miracle. Les femmes se trouvent influencées par des canons de beauté inaccessibles (et souvent photoshopés), et rare sont celles qui n'ont jamais fait de régime. On est très loin du modèle d'émancipation imaginé par Hélène Lazareff, cette visionnaire qui insufflait liberté et indépendance dans les chaumières. Les lectrices doivent aujourd'hui suivre le mouvement coûte que coûte, telles des moutons de Panurge condamnés à brouter laitue et barres diététiques. Les magazines, sous couvert de lutter contre un surpoids toujours croissant, usent de ce marronnier sans tenir compte de son impact. En 2013, selon un sondage Ipsos, 71% des femmes entre 20 et 24 ans désireraient changer une partie (ou plus) de leur corps. Ce culte de la cuisse parfaite entraîne chez elles de nouveaux complexes, relayé par les photos de mannequins - souvent bien trop minces – qui offrent une vision erronée de la féminité. Brûler les graisses à tout prix, voilà le nouveau credo. Alors on fait feu de tout bois, quitte à jouer à l'apprenti sorcier. Dans le dernier numéro de Cosmopolitan, pas moins de 12 pages dédiées à la silhouette, et tout y passe: d'Hapifork, la fourchette munie de capteurs qui détermine la vitesse à laquelle on mange (si, si), au compteur de calories qui scanne le paquet de gâteaux pour connaître sa teneur énergétique, on aboutit à des règles très strictes ("L'entourage est le plus grand pousse-au-crime. Prendre une cuillerée au moins du plat proposé").

Le danger de ces propos superficiels est qu'ils rappellent le mouvement pro-ana, ces jeunes filles souffrant d'anorexie communiquant via des blogs leurs astuces pour être toujours plus minces.

 

De nouvelles doctrines qui inquiètent

 

La minceur, dans les périodiques féminins, est souvent associée au bonheur, à croire que rien ne vaut une bonne semaine de privation pour retrouver le sourire. Pourtant les signes d'alerte ne manquent pas. Il y a quelques années, Isabelle Caro, mannequin anorexique de 28 ans, posait nue pour la campagne «  No-Lita  » de Benetton afin de sensibiliser au danger des régimes et du culte de la maigreur. Aujourd'hui, rien ne semble avoir changé... Comme si la jeune femme, qui s'est éteinte en 2010, était morte en vain. Heureusement, certains réagissent  : le 6 janvier dernier, le photographe Daniel Soares posait des barres d'outil Photoshop sur les affiches de la marque de prêt-à-porter H&M pour dénoncer l'ineptie de l'idéal imposé par les médias. De même, dans un article de l'Express daté du 16 novembre 2013, la journaliste Amandine Hirou alertait  : les enfants se mettraient aussi à parler régime... touchés à leur tour par « la tyrannie de la taille zéro  ». De quoi faire trembler les parents, et ainsi peut-être espérer que les prochaines mises en garde pèseront plus lourd dans la balance.

 

 

 

Par Manon Griboux

le 14 mars 2014

 

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