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Jetez l'encre !

Reportage

 

Pendant trois jours, plus de 20 000 personnes et 312 artistes larguent les amarres au Mondial du tatouage de Paris et nous montrent qu'ils n'ont pas peur des aiguilles. Embarquement immédiat.

 

Le Mondial du tatouage 2014 est une occasion unique de découvrir l'art, souvent sous-estimé, du tatouage. Cette convention a vu le jour grâce à l'initiative de deux tatoueurs reconnus, vieux loups de mer, Tin-tin (Tin-tin tatouage, Paris) et Piero (La Cour des Miracles, Toulouse). Tatoueurs et tatoués se donnent rendez-vous cette année à la Grande Halle de la Villette (Paris 19e) où ils ont plus de 20 000 m2 pour exprimer leur passion. Encore une fois, ce rassemblement unique provoque un véritable raz-de-marée , ce qui est la preuve de l'essor grandissant du tatouage.

 

Pourtant, il faut avoir l'envie de débourser entre vingt-cinq et soixante euros pour y accéder, certains exposants s'amusent d'ailleurs à déclarer à ce sujet que ce prix élevé est un bon moyen de faire le tri entre véritables passionnés et simple curieux. Car oui, pour entrer au Mondial, il faut en quelque sorte avoir le pied marin : c'est une véritable flotte de férus du tatouage qui vous accueille, à condition de considérer leur art à sa véritable valeur. Ainsi, cette convention a surtout pour objectif de promouvoir ce métier. Ce n'est pas une simple exposition de réalisations, il y a un véritable enjeu. Ici, il ne faut pas s'attendre à découvrir des tatouages en vogue, car ce sont des pièces uniques qui sont présentées aux visiteurs : des œuvres d'art personnalisées à jamais ancrées sur la peau. Hélène Bodet, jeune fille de 21 ans adepte du tatouage, avoue que c’est un univers dans lequel elle a échoué et dont elle ne peut plus se passer « Il faut que j'apprenne à me restreindre, sinon à 30 ans je n'aurai plus un centimètre de libre sur tout mon corps ! ».

 

Plongée dans un univers

 

On se rend vite compte que de nombreux pays sont partis à l’abordage de cette convention : Etats-Unis, Canada, Hollande, Angleterre, Japon… Chacun se voit offrir une publicité en or car ils ont été sélectionnés parmi les meilleurs tatoueurs du monde entier. Ils accostent au Mondial pour mettre en valeur leur technique, mais c’est aussi une occasion pour eux de se retrouver et de nouer des contacts. C'est donc une ambiance décontractée qui règne durant toute la convention, à coup de bières et d’admiration réciproque. Du tatouage maori, au style graphique en passant par le côté old school, tous sont présents. Benoît Ionescu, tatoueur au salon Ink Under (Sete), déclare à ce propos « Etre ici me permet de représenter mon salon, de montrer ce dont on est capable et aussi de trouver de nouveaux clients. Avec ce genre d'endroit, je peux voir le travail d'autres artistes venus du monde entier, c'est vraiment enrichissant ». Chaque salon possède son stand sur lequel il expose ses travaux. Des tatouages sont réalisés en direct aux yeux de tous. Ce sont donc plus de 300 machines qui vrombissent en même temps, créant un bruit de fond assourdissant.

 

Pour le flot de visiteurs, l'intérêt de ce salon réside dans la découverte des différents styles et méthodes de tatouage, certains se laissent même tenter et se font tatouer un « flash », autrement dit un tatouage déjà dessiné par l'artiste qui est réalisé sur le pouce. C'est le cas de Michael Bonardet, apprenti tatoueur qui n'a pas pu résister à l'appel d'un nouveau tatouage « Mon objectif est de me faire tatouer par des mecs qui viennent des quatre coins de la planète. Ça m'évite de payer le billet d'avion ! L'homme qui me tatoue vient du Canada et je ne savais même pas qu'il serait sur cette convention. Je lui ai donné carte blanche sans hésiter car je suis son travail depuis pas mal de temps. » D'autres en revanche ont pris les devants et ont réservé à l'avance un tatouage sur-mesure, il fallait parfois s'y prendre des mois à l'avance pour obtenir une place auprès des tatoueurs les plus prisés.

 

Durant le rassemblement, l’armada de tatoueurs tatoue à un rythme infernal. Pour l'illustrer, Fabien Belveze, qui tatoue un portrait réaliste de Johnny Depp dans Edouard aux mains d'argent depuis plus de sept heures, confie les yeux gorgés de sang qu'il commence à être épuisé, mais c’est l’intensité qui l’intéresse dans cette convention. La proximité entre les tatoueurs et le public facilite le contact, certains visiteurs osent davantage se lancer dans le tatouage à la Grande Halle plutôt que dans le salon de tatouage près de chez eux. En effet, les artistes sont accessibles, et le visiteur se sent plus apte à choisir un artiste sur un coup de cœur. Côté hygiène, les organisateurs ont insisté sur l'importance de sensibiliser les visiteurs : la masse de tatouages réalisés n'empêche pas une propreté impeccable et chaque tatoueur doit être membre du Syndicat National des Artistes Tatoueur (SNAT). Petit bémol à ces démonstrations en direct, cela donne parfois l'impression d'être dans un cabinet des curiosités géant. Le public n'hésite pas à bombarder de photographies des corps souvent dénudés, et les tatouages sont soumis à l'impression de tous, ce qui gâche leur aspect personnel et privé.

 

Une passion qui fait des vagues

 

Hissez ho les talents ! Grâce à ses nombreux partenaires, la convention met en avant le tatouage à travers d'autres évènements. Julien Lachaussée présente une série de clichés sobres et puissants ayant pour thème le tatouage et Ouï FM offre des concerts sur la scène centrale de la Grande Halle (diffusés en direct sur leurs ondes). Les artistes choisis sont pour la plupart des artistes qui sont eux-mêmes adeptes du tatouage. Ainsi, Skip the use, le vendredi soir, a électrisé le public et dynamisé les tatoueurs épuisés grâce à son énergie folle. Mais c'est aussi Da Silva, Sarah W Papsun, Dog Eat Dog, Burning Heads et Ajeya qui offrent pendant deux jours à partir de 20 heures des showcase uniques.

 

Preuve de l'essor commercial de cette cible, des boutiques sont aussi présentes sur le salon. Elles proposent des vêtements et accessoires extravagants. Par exemple, El Rana vend des accessoires en argent représentant des symboles qu'affectionnent les tatoués (chiffre 13, crâne, hirondelle…) et la marque Wicked One utilise des mannequins tatoués. C'est aussi l'occasion d'assister à des séminaires professionnels comme « La machine à tatouer pour les nuls » présenté par Bruno Kea. Et dans un registre plus écolo, l'organisation internationale à but non lucratif Sea Shepherd Conservation Society (SSCS) occupe un stand sur lequel elle tente de sensibiliser le public à la destruction des écosystèmes marins : les tatoués aussi ressentent l'appel du large.

 

Fermer les écoutilles à l’effet de mode

 

Le SNAT occupe une place importante puisqu'il est à l'origine du concours de tatouage, véritable point d'orgue du Mondial. Antoine Schoumsky, comédien, est le capitaine de la cérémonie et le jury est composé de « simples » tatoués, de personnalités publiques et de professionnels du tatouage. Cette année, le chanteur Tété est président du jury mais il est aussi présentateur d'une série de vidéos diffusées sur Internet intitulées « Tattoo by Tété » qui expliquent la signification de tatouages old school. Ces concours prouvent que le tatouage mérite d'être reconnu et mieux appréhendé, il ne doit pas répondre à un phénomène de mode. C’est pour cela que les meilleurs artistes reçoivent un prix et surtout une reconnaissance de la part des pointures du métier.

 

Car il est vrai que dans les abysses du tatouage, on trouve le tatouage en vogue, véritable hantise du tatoueur. Cette édition du Mondial semble partir à l'assaut contre le piratage de tatouage. La manager de la boutique White Chapel tattoo (Bendol) nous explique que le tatouage à la mode est le marin d'eau douce du tatouage « On revient de plus en plus vers le tatouage traditionnel. On déconseille fortement les tatouages à la mode car on considère que la personne le regrettera forcément. Même s'ils ont une signification, on préfère leur demander de le personnaliser un peu plus. C'est triste de se retrouver sur la plage en été avec 80 filles qui ont le même tatouage. » Et une tatoueuse de chez Sleeve - qui affectionne le style old school néo-traditionnel – n’hésite pas à dire clairement ce qu'elle en pense « Ce n'est pas que c'est raté, c'est juste que c'est un peu cheap. Un symbole à la mode en remplace un autre, mais l'important est qu'il soit bien « piqué ». Et puis au pire, on fait forfait recouvrement. » La création est donc la figure de proue du Mondial, loin, très loin d’une quelconque dictature de la mode.

 

 

 

Par Audrey Sandou

le 12 mars 2014

 

« Mondial du Tatouage 2014 »

Du 7 au 9 mars 2014

Grande Halle de La Villette

Vendredi et samedi de midi à minuit

Dimanche de 11h à 19h

Billet 1 jour : de 25 à 30 euros

Pass 3 jours : 60 euros

Et aussi dans la salle de bain...

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