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Olivia Koudrine,

ou le Crazy Horse dans tous ses états

Portrait

 

Rouge à lèvres écarlate et lanières léopard lui ceignant poitrine et sillon des hanches, elle s'apprête à entrer en scène. Après s'être étirée pour la dernière fois, la danseuse se mire dans la glace. Une jungle de cheveux sauvagement dénoués coule le long de son dos, et à peine un triangle de tissu recouvre une intimité vivement suggérée. Le public la réclame. Elle entre dans l'obscurité de la salle : un rythme endiablé de tambours et maracas retentit. L'éclairage tacheté la transforme peu à peu en animal sauvage, et révèle toute la sensualité bestiale qui sommeille en elle. Sa jambe se lève, trois, quatre... La chorégraphie recommence pour Olivia Koudrine.

 

Lorsqu'on lui demande quel sentiment elle garde de ce temps passé sur les planches, Cheetah Magnetic, alias Olivia Koudrine, ancienne danseuse du Crazy Horse, répond avec le sourire qu'elle ne regrette rien, car pour elle « c'était un peu un univers magique qui s'est ouvert juste à la sortie du lycée ». Après son baccalauréat, elle monte à Paris pour suivre des cours à la Sorbonne, et devient danseuse dans cet établissement de renom, ce qui lui permet de financer ses études. Un quotidien proche de celui des contes de Disney, s'accorde à dire l'ancienne danseuse, mais avec des règles plutôt strictes : « On avait même une pointeuse, comme à l’usine. Et gare aux retards, tout temps perdu équivalait à une retenue sur salaire. À l'époque d'Alain Bernardin (directeur du cabaret), on filait doux », se rappelle t-elle en riant. L'un de ses meilleurs souvenirs reste le spectacle, et cette sensation de liberté mêlée d'excitation ressentie une fois sur scène, lorsque les corps qui ondulent au gré d'un éclairage suggestif peuvent enfin s'exprimer. Un « bol d'air, une juste libération après des heures d'entraînement » selon elle. Cabaret mondain, le Crazy Horse reste encore aujourd'hui le rendez-vous glamour du tout Paris, rayonnant à l'international. « C'est ce qui fait qu'on reste longtemps. Il y a toujours des choses qui s'y passent. Du coup, le temps passe très vite, trop vite ».

Et pourtant... Ce temps passant, un manque se fait sentir. À la sortie de l'établissement, la jeune retraitée se met à peindre et à écrire. Un virage radical qui ouvre la voie à une autre rêverie, sur papier cette fois-ci, mais toujours lié à cet héritage féminin et érotisant qui lui colle à la peau.

 

« Donner du corps à l'écriture »

 

«J'écrivais déjà des romans roses dans les loges du Crazy ! », affirme la pétillante jeune femme. Une vocation artistique bien présente, puisque après avoir raccroché la perruque elle s'essaie immédiatement à l'art pictural, reproduisant des corps nus empreints d'érotisme. Sur l'une de ses toiles, un fond bleu et orange sur lequel apparaît une silhouette, debout et la tête détournée, dont les jambes croisées sont frôlées par un bras ballant semblant montrer du doigt un mont de Vénus à peine dissimulé. Comme si le monde de nudité colorée de son passé avait laissé des traces indélébiles. Pas étonnant donc que son polar se déroule précisément à l'endroit où elle a fait ses premières gammes en matière de sensualité. Cependant, contrairement à la clarté presque pure de ses peintures, c'est dans un univers sombre qu'Olivia Koudrine situe son premier opus romanesque, Barby Blue.

Le synopsis ? Un homme est retrouvé émasculé dans un restaurant servi par des aveugles où l'on mange dans l'obscurité la plus totale. Le seul indice pour découvrir la clé de l'énigme : une jeune femme avec une robe bleue qui accompagnait la victime ce soir-là. Barby, mère de famille, découvre cette affaire et reconnaît immédiatement la signature du coupable... Et là, flash-back. Retour vingt ans plus tôt lorsqu'elle était danseuse au Crazy Horse, surnommée Barby Blue en raison de ses tenues bleues. Elle se lance alors dans une enquête.

Difficile de ne pas voir dans ce roman une forme d'autofiction, ce que l'ancienne performeuse ne nie d'ailleurs pas. Mais le livre s'ouvre aussi sur d'autres thématiques, parfois troublantes de ce monde glamour et – apparemment - sans tabou. Les coulisses du Crazy Horse restent omniprésentes, avec leurs lots de camaraderie et de rivalités, mais apparaissent également des problématiques telles que la pédophilie et ses traumatismes, l'indétermination sexuelle, la difficulté de l'affirmation de soi. « La peinture m'a aidée à revenir à l'écriture, mais je n'écris pas que des faits personnels, car dans ce livre il se passe aussi des choses horribles. Ce n'est pas seulement l'histoire d'une ancienne danseuse du Crazy ».

La phrase, dans ce livre, est fulgurante et claire, à l'image d'une Olivia Koudrine rayonnante qui revendique un véritable amour de la vie.

 

La danse, encore et toujours

 

Entre danse, peinture et écriture, c'est une artiste complète qui trouve à travers la représentation divers moyens de s'exprimer et qui espère d'ailleurs « donner du corps à (son) écriture ». Tout est dit. Ce n'est plus l'ondulation sous les projecteurs d'un corps svelte qui se fait langage, mais le frottement d'une plume sur du papier qui, à l'instar d'un show érotique, hypnotise et transporte par son attaque et sa vivacité. Ainsi tout est mêlé, et finalement l'écriture se fait danse, avec un style vif et coloré, qui a aussi ses zones d'ombre.

Olivia Koudrine est revenue au Crazy Horse il y a trois ans. « C'était une période sympathique de ma vie », a t-elle conclu, nostalgique. En arrivant à Paris à 18 ans, cette picarde d'origine a su se forger une carapace, a appris les codes de la vie nocturne. Cela l'a renforcée, tout comme la rigueur exigée par la danse. En faisant parler son corps, nu de surcroît, elle a trouvé un moyen inédit de s'exprimer et ainsi de s'extérioriser, ayant reçu une éducation très stricte.

Elle dit d'ailleurs continuer de danser aujourd'hui, « un véritable besoin », mais ses aspirations se portent désormais vers le papier, qu'il soit toile ou page blanche. Une autre manière de se mettre à nu et de pratiquer l'effeuillage donc, mais au sens propre cette fois-ci. 

 

Par Manon Griboux

le 19 février 2014

 

Barby Blue, d’Olivia Koudrine
Éditions du Cherche-Midi, coll. Thrillers, 288 pages, 17 €

 

 

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