top of page

Lumière sur les nymphéas

Critique

 

Instants de lumière dans le bassin d'eau de Giverny, Claude Monet (1840 - 1926) a l'idée de peindre un même modèle à différents moments de la journée. Ainsi, une série de tableaux de Nymphéas est peint par l'artiste, exposée au musée de l'Orangerie à Paris. Des tableaux au format extra large permettent l'évasion. 

 

Les coups de pinceaux qui donnent un effet tacheté aux tableaux de la peinture impressionniste sont la marque d'une époque et d'un courant artistique. Il a créé son univers dans un lieu, Giverny qui est devenu une référence de l'Impressionnisme en France mais surtout son atelier privilégié. Entrer dans deux salles ovales à l'Orangerie donne un aperçu de l'œuvre d'un homme qui vit un parcours artistique difficile mais toujours animé par la passion de la peinture. Les Nymphéas donnent l'effet d'une tapisserie royale où l'ambiance solennelle est de rigueur. La série de peintures murales est le résultat d'un long travail d'observation et de contemplation d'un bassin d'eau qui a été aménagé par Monet à Giverny. Un pont japonais accompagne les tableaux mais le focus principal réside dans les nymphéas qui habillent délicatement l'eau. Peints à maintes reprises, l'inspiration de la propriété de Monet renaît chaque jour dans un lieu accueillant les dernières périodes d'une vie dans un lieu calme et reposant où les tons verts se déclinent dans des reflets du plus clairs aux plus sombres. Bienvenue dans un panorama qui n'accepte que l'observation et la contemplation, où le pèlerin est invité à tourner dans le creux des nymphéas.

 

Un espace vert à perte de vue

 

C'est à la porte de la région d'Ile-de-France, dans un village de Haute Normandie que Claude Monet peint du matin au soir des tableaux. Ce lieu est connu pour son jardin dense, fleuri où la nature est au première loge, c'est à croire qu'elle constitue un habitant à part entière. Les fenêtres de la maison du peintre sont habillées de volets verts, quant aux murs, les plantes grimpantes y ont planté leurs racines si bien que l'on ne sait plus où s'arrête le jardin. Quant aux fleurs, elles accueillent les visiteurs de cette maison devenue musée, elles sont placées au-dessus des portes, au bas des escaliers ou encore au détour des allées.

Les tableaux peints ressemblent à une forêt amazonienne où l'eau prend racine, le ciel se confond avec le vert et le marron des arbres. L'aspect sombre de certaines toiles donne une ambiance profonde où l'imaginaire s'engouffre. Entrer à l'Orangerie se fait presque avec dévotion dans une visite à mouvement circulaire.

Dès 1899, le peintre, qui est maintenant en fin de vie esquisse le pont japonais sur le bassin au-dessus des nymphéas, des nénuphars blancs qui voguent sur l'eau. Le pont, chargé par les arbres proéminents, semble à peine ressortir du panorama. En observant ce lieu, les nymphéas vont bientôt prendre vie sous toutes les couleurs.

Monet passe tout son temps à jardiner et à peindre, de la décoration de la nature à la peinture, toute son inspiration se transpose dans l'un et l'autre. les nymphéas transmettent une symbiose avec la nature tel un labyrinthe coloré.

 

Tableaux multicolores

 

Tout le charme de cette œuvre réside dans les illusions d'optique qui se produisent et qui sont volontairement effectuées. En entrant dans la salle des nymphéas au musée de l'Orangerie, la taille des tableaux impressionnent mais le plus fantastique est la différence qu'il y a lorsque le visiteur est placé près du tableau ou loin de ce dernier. Cette salle circulaire incite au silence mais aussi à la contemplation.

Placé juste devant le tableau, le visiteur découvre une peinture à peine étalée qui semble être un gribouillis d'enfant, le geste du pinceau tourne et semble être fait au hasard. Les Nymphéas, reflets verts représente un tableau où les profondeurs de l'eau deviennent racines, les feuilles des nymphéas ont de multiples nuances verdoyantes. Le visiteur se plonge dans cette contrée aux reflets verts, violets et bleus où l'on ne distingue pas l'endroit où se situe le tableau.

En s'éloignant de la toile, le visiteur voit ainsi se dévoiler devant lui les détails de cette peinture qui se reconstitue au loin. Les deux antres ovales de l'Orangerie permettent un voyage à Giverny, c'est comme si le soleil caressait les nymphéas et que Monet se trouvait là, en train de peindre un morceau de lumière, un morceau de saisons ou un morceau de nénuphar blanc.

 

Une œuvre à l'épreuve du temps

 

Loin de trouver les splendeurs de la nature inintéressantes, Monet s'exerce chaque jour à renouveler le détail des saules, du pont, de l'eau et des nymphéas comme au premier jour. À chaque fois, c'est une nouvelle aventure puisque l'éclairage est différent, puisque les saisons se succèdent et ne se ressemblent pas.

Le matin clair, le jour se lève, les saules qui se suspendent au dessus de l'eau, laissent apparaitre quelques nymphéas ici et là. La lumière naissante se dessine sous le pinceau imprégné de peinture blanche. Les branches sont comme des guirlandes qui pleurent et craignent de plonger dans l'eau. Le bleuté du bassin se mélange tendrement avec les plantes aquatiques circulaires qui émergent de ce tapis scintillant.

Il est vrai que Monet a peint plusieurs séries autour du thème des nymphéas, il commence avec les bassins aux nymphéas (1899-1990), le Nymphéas (1903-1908) et le pont japonais (1918-1924). Quant aux peintures exposées à l'Orangerie, il y travaille depuis 1914. Il est lui-même à l'origine de l'agencement de ses différents chef d'Å“uvres  afin d'en faire ressortir toutes leurs beautés. Il qualifie le résultat final d'une "illusion d'un tout sans fin, d'une onde sans horizon et sans rivage."

Ce qui fait le succès de cette série de nymphéas c'est son aspect universel, les impressions sont perçues par tous les peuples à en croire l'admiration de Giverny par nombres de touristes venus de partout dans le monde. Il y a aussi le côté atemporel de l'œuvre cela vient certainement du fait de peindre la nature morte. Ce style de peinture joue sur l'évocation d'un souvenir de par le flou du geste artistique, ce qui donne au visiteur libre cours à son imagination à travers un voyage parsemé de nénuphars blancs.

 

Le changement d'une époque

 

Monet vit à une époque de transition, de bouleversements historiques. En effet, les artistes ne sont plus rattachés à des corporations ou à des princes et deviennent indépendants. Il faut désormais se battre pour avoir l'honneur de participer à des expositions afin de pouvoir gagner son gagne-pain. Le Salon de Paris, composé de membres de l'Académie des Beaux-arts est la référence en la matière. Ce salon accueille tous les artistes français tous les ans,  les Å“uvres sont soumises au jugement d'une jury qui gratifie à l'Å“uvre son rang d'art. Monet ainsi que ses amis tels que Renoir, Bazille et d'autres, vont constituer le Salon des Refusés, qui, comme son nom l'indique, regroupe tous ceux qui n'ont pas eu le privilège d'être acceptés et nombreux sont les artistes dans ce cas.

La quête de l'identité artistique ainsi que l'inquiétude du salaire a permis de créer des liens entre ces peintres. Ils revendiquent une nouvelle conception de l'art et de la nature même si les corps sont présents, Monet en fin de carrière, ne se préoccupera plus des être animés. L'Impressionnisme fait son apparition. Mais c'est bien tardivement que Monet récolte le fruit de son art bien qu'en fin de vie il ait acheté sa maison à Giverny qui est aujourd'hui un musée.

 

Vers une période d'apaisement

 

Monet vit des périodes de difficultés financières, si bien que ses amis ont dû lui donner de l'argent mais sa passion pour la peinture et sa joie de vivre sont plus fortes que les soucis de cette vie. Pour un homme qui a vécu en période de guerres, le manque de moyen face à la paix ne peut l'atteindre. Il épouse son modèle de toile Camille Doncieux avec qui il a des enfants et qui meurt en en 1879. Depuis un moment, il cherche un lieu de vie où la vie est peu chère en s'éloignant en vivant à Argenteuil, puis plus tard à Giverny. Sa femme est morte en 1879, il ne manque pas de la peindre telle une photographie, à sa manière. Toujours par petites touches, le tableau peint est un témoignage vivant de sa femme morte.

Plus tard, il épouse Alice Hoschedé, à la mort de son mari, il vit avec elle et ses enfants dans sa demeure qui est sienne depuis 1890. Le succès commence à se faire sentir, il peut acquérir la propriété de Giverny. Il est épris par les paysages.

Les jours meilleurs se font à la fin de sa vie et les nymphéas témoignent de la paisible fin de vie, voire d'une osmose avec la nature. Clémenceau évoque les nymphéas en ces termes : " une envahissante émotion de beauté". "Lorsque les Nymphéas du Jardin d'eau nous emportent de la plaine liquide aux nuages voyageurs de l'esprit infini, nous quittons la terre, et son ciel même, pour jouir pleinement de l'harmonie suprême des choses, bien au delà de notre petit monde planétaire, dans le plein vol de nos émotivités."

Cette série de Nymphéas est une sorte de bilan de vie, un achèvement artistique d'un homme qui a marqué l'art et l'Histoire.

 

(http://www.musee-orangerie.fr)

le 19 mai 2014

Par Zouina Hellal


 

bottom of page