top of page

 

Soif d'apocalypse

Enquête

 

Le zombie rampe lentement, poussant un long râle de souffrance. Son corps atrophié ne l'empêche pas d'avancer vers la source de chair fraîche qui se tient devant lui. Le spectateur bouge sur son siège, mal à l'aise, mais continue de regarder et pousse un cri de triomphe lorsque la tête du zombie tombe. Quels sont les effets de ce genre de film sur le public? Pourquoi la fin du monde et l'attaque de zombies font vendre ? Enquête sur un phénomène qui tente de purger les passions de l’homme.

 

Le zombie est devenu bankable depuis quelques années, et le public en redemande. Mais qu'est ce que le zombie a d'attirant ? Il n'est pas interdit et sexy comme le vampire, ni étrange et séduisant comme le loup garou. Même Macha Méry, dans son article « En littérature les zombies font peau neuve » pour Le Monde, se pose la question : « Nulle créature n’est plus répulsive, plus grotesque que le zombie. Plus méprisée non plus. Cet épouvantail ne possède ni la poésie du fantôme ni le magnétisme sexuel du vampire. » Le zombie a subi la même transformation que le vampire qui a été aseptisé dans le film Twilight. Le zombie n’est plus terrifiant, il ne dégoûte plus. Les morts-vivants de la série Walking Dead sont considérés comme étant les plus réussis, aussi répugnants que possible, quand bien même, les spectateurs n’ont plus aucune réaction de dégoût face à ces créatures. Le comportement du mort-vivant est celui d'une charogne et les images de chairs sanguinolentes et les cris de douleur sont parfaits pour faire partir le public en courant. Mais le spectateur reste sur son siège, avide de têtes coupées et de boyaux à découverts. Diffusée par la chaîne AMC, le dernier épisode de la série Walking Dead qui marquait la fin de la troisième saison, a réuni 13 millions de téléspectateurs quand l'industrie du jeu vidéo a dégagé environ 2,5 milliards de dollars avec ses franchises de morts-vivants (Dead Island, Resident Evil ou Plants vs Zombies). Le blockbuster World War Z sorti en juin 2013 fait 2 millions d’entrées en France seulement. Les morts vivants associés à un virus qui touche le monde entier semblent être la recette pour être en tête du box office. L’extinction de l’humanité au sens propre comme au sens figuré attire les foules dans les salles et cela n’est pas prêt de s’arrêter. Une nouvelle mode est lancée.

 

Le miroir de notre époque

 

Comment explique-t-on l’intérêt que l’homme porte aux zombies ? Ces créatures ont une apparence et un caractère trop humain par rapport au robot pour que le spectateur ne ressente aucune sympathie à son égard d’après Masahiro Mori, roboticien japonais, théorie qu’il appelle « La vallée dérangeante ». Ils ont, par conséquent, la capacité d’atteindre le public, ils représentent nos émotions les plus primitives et les plus profondes. Telles que la crainte et la peur de ce genre de contamination qui entraînerait la fin du monde. Pour Masha Méry, « le zombie n’est qu’un reflet », le reflet des peurs humaines. Il peut donc s’adapter aux émotions de chacun. Ce plaisir contagieux de la série B provoque un effet miroir de la fonction primitive du zombie, c'est-à-dire transformer quiconque en autre lui-même. Le zombie devient un sujet élastique qui peut se prêter à toutes les interprétations. Mais, consciemment, il reste impossible de s’identifier au zombie, c’est de là que vient la difficulté d’expliquer sa popularité. L’identification se fait inconsciemment via toutes les peurs que l’humanité entretient depuis des années. La peur de l’extérieur représentée par les attaques terroristes et la guerre fait place à une peur qui viendrait du peuple lui-même, qui émergerait de l’intérieur. Même Anne Rice, qui ne comprend pas cette attirance pour les zombies, reconnait qu’ils ont « un sens profondément métaphorique pour le public ». Ils sont le miroir du monde. Dans une perspective plus positive, le mort-vivant peut aussi représenter le reflet d’un espoir collectif ; car, inévitablement, le zombie s’inscrit dans une catégorie plus large, celle de la fin du monde. Cela incarne le fantasme du héros, celui qui sauvera l’humanité de l’apocalypse éminente. L’homme d’aujourd’hui veut assister à cela, dans une sorte de fantasme morbide.

 

Le degré zéro de l’homme

 

Après la morsure, l’homme meurt et se réveille. Mais il n’est plus un homme. Son cerveau s’éteint, il perd toutes notions éthiques ou morales. Il est totalement déshumanisé. Seul reste sa qualité la plus primitive, celle du besoin de manger pour survivre. Le zombie est prêt à tout pour croquer un morceau de chair fraîche. Il retourne à l’état de nature. Mais cela voudrait dire que l’homme est par essence mauvais puisque tout ce qui lui reste est un désir de cannibalisme. À l’opposé d’un certain espoir collectif, le zombie représente donc aussi une forme de pessimisme contemporain. L’homme est transformé et présenté sous son plus mauvais jour. D’après le sociologue Maxime Coulombe, « le zombie représente notre peur de la mort et notre difficulté à lui donner du sens ». Car dans ces films et ces séries, il y a rarement une explication sur le pourquoi de l’infection et de la fin du monde. La mort y reste donc inexpliquée. L’absence de conscience entraîne les humains à mettre la leur de coté et à faire des choses qui, dans le monde réel seraient inconcevables. C’est aussi cette curiosité malsaine qui pousse le spectateur à ne pas éteindre son écran : le héros va-t-il tuer sa femme pour ne pas qu’elle se transforme ? Si on part du principe que le zombie représente les peurs de l’humanité alors, ils sont, ainsi que les survivants, des représentations de nous même. Regarder World War Z ou 28 jours après serait un moyen de nous mettre en condition, de nous mettre à la place des personnages. « Comment réagirait-on ? » « Qu'est ce que je serais capable de faire pour survivre ? » « Quelle est la place et le rôle de la conscience ? ». Le film d’apocalypse est une sorte de manuel de survie à l'attaque des zombies et à la fin du monde.

 

The Walking Dead, Frank Darabont et Robert Kirkman, 1ère diffusion : 31 octobre 2010

 

 

Par Clémence Germain

le 19 mai 2014

bottom of page