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Un air de famille

Interview

 

Chez les Hu, on est musicien de père en fils. Un rêve pour n'importe quel amateur de douces berceuses au coin du feu. Entre concertos et sonates, à chacun sa spécialité, et tout le monde ajoute sa petite note personnelle. Mais l'envers du décor est pourtant moins idyllique qu'il n'y paraît... Lorsque l'on est issu d'une telle famille, entre pression et compétition, le quotidien n'est pas de tout repos. Rencontre avec Émilien, cadet de la famille, violoniste exigeant et talentueux, qui perpétue la tradition familiale.

 

Vous êtes issu d'une famille de musiciens. Comment avez-vous choisi votre instrument ?

 

Ma mère, en l'occurrence, joue du violon. J'ai choisi cet instrument sans doute par imitation, quand j'étais tout petit. Je me rappelle avoir toujours voulu en jouer. Quant à ma famille, ils ont tous leur spécialité. Mon frère fait du piano, mon père aussi, mes deux oncles et mon cousin font de la clarinette, ma cousine fait du cor, ma tante fait de l'alto... Et c'est à peu près tout. C'est déjà pas mal.

 

Pour vous, est-ce inéluctable, lorsque l'on fait partie d'une famille telle que la vôtre, de faire de la musique ?

 

Non, pas du tout. J'ai mis beaucoup de temps à me décider. C'est à 17 ans que j'ai réellement pris la décision d'en faire mon métier car avant, j'avais tendance à quelque peu me laisser vivre. La musique n'était pas spécialement une vocation, bien que j'y ai songé toute ma vie.

 

Pourquoi cette décision ?

 

Parce que j'aime ça, et surtout parce qu'il fallait que je décide de mon avenir. J'ai tenté de me convaincre que je pouvais être musicien d'orchestre, et que si ça ne marchait pas, je ferais autre chose. Contre toute attente, ça a très bien marché, et aujourd'hui je suis content du chemin parcouru.

 

Freud disait que le fait de se retrouver dans la même situation que ses parents est finalement le moyen de réparer ou de sublimer leur travail. Est-ce qu'il n'y aurait pas là-dessous l'ambition de « tuer le père », et de faire mieux ?

 

C'est tout à fait ça, je le ressens réellement. Il y a une ambition de dépassement claire, vis à vis de mon père surtout, même s'il n'a pas le même métier que moi : il est accompagnateur, donc pas musicien d'orchestre. C'est une branche différente et le travail n'est pas du tout le même. Mais je sens qu'avec encore quelques efforts, malgré son niveau élevé, je pourrai atteindre une finesse dans mon jeu qui sera supérieure à la sienne. Nos perceptions respectives de la musique ne sont pas les mêmes, tout comme avec ma mère, et à plus forte raison avec mon frère, parce qu'on est vraiment aux antipodes, tous les deux.

 

Vous êtes vous déjà trouvé en compétition avec lui, ou l'un de vos proches ?

 

Oui, je pense que c'est le risque lorsque dans une famille les mêmes ambitions se croisent. Florent a un parcours tout à fait opposé au mien. Il a commencé à 3 ans, a tout de suite pris des cours par correspondance, a travaillé beaucoup plus tôt de manière sérieuse, dès l'âge de 8-10 ans. Il a progressé de manière linéaire, est entré dans un CRR (Conservatoire à Rayonnement Régional) à l'âge de 19 ans, et est rentré au CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique) de Lyon l'an passé, à 24 ans, bref, un parcours sans embûches. À l'inverse, j'ai un énorme retard à rattraper, donc je travaille comme un dingue. Je fais des progrès phénoménaux en très peu de temps, mais mon niveau reste nettement moins important que celui de quelqu'un qui aurait commencé à travailler sérieusement dès l'âge de 12 ans.

 

Pourquoi dites-vous que vous avez « pris du retard » ? La notion du temps en musique est-elle si importante ?

 

C'est fondamental. La mémoire des gestes est beaucoup plus grande quand on est jeune, et ce qui fait le tronc principal de l'instrumentiste c'est sa mécanique, justement. C'est ce qui lui permettra d'avoir une technique solide plus tard, et c'est très difficile à acquérir dépassé 15-16 ans. Commencer jeune est aussi important, à plus forte raison, lorsque l'on sait que dans dans les conservatoires il y a un réel culte de l'enfant prodige. On fait entrer des jeunes d'à peine 11 ans dans les établissements supérieurs parce que tout leur potentiel est encore à développer. Et aussi, il ne faut pas se mentir, parce que ça fait « classe », les jeunes premiers.

 

Vous avez récemment passé le concours du CNSM de Paris. Que pense votre famille de votre parcours brillant ?

 

Ils ont vu que j'ai été capable de monter le programme en un an, ce qui n'était pas gagné, d'autant plus que c'était finalement assez solide pour me permettre d'y entrer. J'ai donc effectivement un soutien moral très fort, surtout de la part de ma mère. Je vois dans ses yeux qu'elle est ravie d'avoir un fils qui a accompli quelque chose, qui a repris le flambeau, en quelque sorte.

 

Comment vous imaginez vous, professionnellement et familialement, dans quelques années, lorsqu'il sera question, par exemple, de fonder un foyer ?

 

La question du foyer ne sera pas abordée tant que la satisfaction que j'aurai de mes capacités ne sera pas suffisante. Il faudra aussi que je parvienne à trouver une place dans un orchestre, pour plus de stabilité financière. Donc dans 2-3 ans, je pourrai peut-être commencer à songer à fonder une famille, si jamais mon couple perdure jusque là !

 

 

Par Manon Griboux

le 2 mars 2014
 

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