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Voyage chez Disney : royaume de la magie et... du droit d'auteur

 

Archétype de l'hégémonie culturelle américaine, Disney a constitué et continue de constituer un socle culturel commun à des millions d'enfants, mais aussi d'adultes. En dehors des grandes lignes de l'habituelle « success story » à l'américaine, on sait peu comment pareille réussite a été rendu possible.

 

Quel est le point commun entre les frères Grimm, Carlo Collodi, Charles Perrault, Lewis Carroll et Osamu Tezuka ? Pas évident à première vue de trouver ce qui relie ces hommes originaires de plusieurs siècles et de continents différents. Et pourtant la réponse est là, sous nos yeux, il suffit juste de regarder du côté des États-Unis et de la plus célèbre de leurs souris, l'incontournable Mickey Mouse. Pour être plus précis, ce n'est pas directement de Mickey dont nous parlons ici, mais de son créateur, le non moins fameux Walt Disney.

Si la célèbre souris à quatre doigts qui constitue l’emblème de la Walt Disney Company est une création originale, il n'en est pas de même, loin de là, pour l'ensemble de l’œuvre de Walt Disney et de ses successeurs. Que l'on soit bien d'accord, les dessins animés réalisés par ce dernier représentent un pan majeur de la culture du XX ème siècle, cela ne souffre aucune contestation. Mais ce dont il est question ici est tout autre : il s'agit de s'intéresser aux origines de nombre de ces projets.

En effet, le point commun entre les écrivains cités au début de cet article est qu'ils ont tous été des sources d'inspiration pour Walt Disney, les frères Grimm étant à l'origine de Blanche-Neige et les sept nains, Collodi, de Pinocchio, Perrault, de Cendrillon, et bien sur Lewis Carroll d'Alice au Pays des Merveilles. Enfin le Roi Lion n'aurait probablement pas existé sans Osamu Tezuka. Cette liste n'a rien d'exhaustif et l'on pourrait citer de nombreux autres films plus ou moins inspirés par des œuvres lui ayant préexisté. Tout le génie de Disney réside dans le fait d'avoir su faire, à partir de diverses histoires, de véritables contes de fées qui s'adressent au plus grand nombre, s'assurant ainsi un succès intemporel et sans cesse renouvelé.

 

Pour autant, tout n'est pas si rose au royaume de la magie Disney. En effet la frontière avec le plagiat n'est pas toujours très loin. C'est le cas à propos du Roi Lion, dont la ressemblance avec le Roi Léo, manga d'Osamu Tezuka sorti au début des années 50, est telle qu'une pétition de protestation fut envoyée à Disney lors de la sortie de son film pour protester contre une adaptation non autorisée du travail de Tezuka.

Ce peu de cas que Disney fait du respect de l'auteur est d'autant plus paradoxal que, alors que d'un côté sa réussite s'est fondée sur l'adaptation moderne de plusieurs contes populaires, d'un autre côté il a été l'un des plus fervents promoteurs du droit d'auteur moderne. Très tôt la Walt Disney Company a tout fait pour s'assurer un contrôle total de son image et de celle de ses produits, attaquant systématiquement en justice toute personne utilisant ses créations – ou devrait-on dire ses produits.

C'est ainsi que lorsqu'au début des années 70, Dan O'Neill lance le comics satirique Air Pirates Funnies, mettant en scène un Mickey aviateur et dealer accompagné d'une Minnie dévergondée, Disney attaque pour « infraction au copyright », « utilisation de marque déposée Â», « concurrence déloyale » et « interférence intentionnelle ». A l'issue d'un procès de plusieurs années et en dépit du « droit de citation » revendiqué par les dessinateurs du comics, Disney se voit donner raison et obtient la condamnation de ceux-ci à une amende record. On peut ajouter à ce procès emblématique, l'intense lobbying mené par Disney durant les années 70 et 80, qui lui a permis d'obtenir la prolongation de son droit d'auteur jusqu'en 2023.

 

C'est une schizophrénie difficile à assumer que l'attitude de Disney dans cette affaire, n'hésitant pas, d'un côté, à puiser son inspiration à de multiples sources, tout en s'opposant, de la manière la plus radicale qui soit, à ce que ses créations soient réutilisées par d'autres. Et pourtant quand on y regarde bien, cette attitude semble d'une logique implacable. Le droit d'auteur constitue aujourd'hui un principe monopolistique, si ce n'est le principal d'entre eux. C'est grâce à lui que les studios Disney ont pu s'assurer des revenus considérables sur l'exploitation de leurs œuvres ainsi que la commercialisation de tous les produits dérivés. A vrai dire, le succès de cette démarche a été si important que la Walt Disney Company est aujourd'hui bien plus qu'un simple studio de cinéma, c'est le premier groupe de divertissement au monde. On assimile désormais tout autant les oreilles de Mickey à ses films et à ses dessins animés qu'à ses parcs d'attractions. Mais Disney, c'est aussi des chaînes de télévision, de multiples boutiques, des jeux vidéos, etc.

Ces dernières années ont aussi été marquées par de multiples rachats : Pixar en 2006, Marvel en 2009 et Lucasfilm en 2012. A travers eux, l'entreprise se renforce comme gestionnaire de licences, en s'assurant un catalogue d'une étendue inédite.

 

Disney a su constituer un véritable empire, le tout en marquant des générations entières de jeunes et de moins jeunes à travers le monde. Pour cela, il lui aura fallu déployer des trésors de créativité, mais aussi emprunter ça et là des créations de diverses origines. Une même réussite serait-elle possible aujourd'hui ? Quand on voit à quel point Disney, accompagné dans sa démarche par d'autres major companies, souhaite rendre tout emprunt – dont il a pourtant bénéficié en son temps – impossible, il y a de quoi en douter. C'est pourquoi la question du droit d'auteur constitue aujourd'hui une interrogation fondamentale. S'il est légitime que des créateurs souhaitent être rémunérés, la tendance actuelle, présente depuis longtemps chez Disney, à invoquer ce droit de manière extensive a de quoi inquiéter, car elle augurerait pour tout nouveau créateur des risques de procès sans cesse plus nombreux. Après tout, dans un monde où nous vivons entourés de sources d'inspiration et qui possède un patrimoine culturel sans cesse plus vaste, aucune création ne sort véritablement de nulle part. On pourrait presque dire qu'il en va de l'art comme de la chimie où « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme » ; ainsi ce sont les créations successives de l'humanité qui permettront à ses créations futures de voir le jour.

 

Sources : http://romainelubrique.org/walt-disney-domaine-public, http://vimeo.com/8040182 - RiP: A Remix Manifesto, http://www.lefigaro.fr/cinema/2012/09/12/03002-20120912ARTFIG00423-disney-et-ses-inspirations-inavouees.php, http://reason.com/archives/2004/12/01/disneys-war-against-the-counte

 

 

Par Hugo Pietka

le 22 mars 2014

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